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Pour créer spontanément une scène narrative en improvisation théâtrale, il est intéressant de se pencher sur la méthode de Keith Johnstone.
Keith Johnstone est une référence mondiale en improvisation et sa méthode se concentre pour l’essentiel sur la création spontanée de scènes narratives incluant une action dramatique, c’est à dire mettant en scène le changement d’un ou plusieurs personnages suite à un événement.
Etape 1 : connexion
Montez sur scène, de préférence à deux. Les scènes à deux personnages sont l’essence même du théâtre et constituent le point de départ le plus simple pour créer une scène narrative ou dramatique.
Détendez vous et concentrez vous sur la connexion avec votre partenaire.
The world’s drama is based on scenes between two people. It’s very difficult to find a good three-person acting scene because the third character is usually functioning as some sort of spectator – and why should improvisation be any different? Scenes that involve all the players should be the exception, not the rule.
De par le monde, le théâtre se fonde sur des scènes entre deux personnes. Il est très difficile de trouver une bonne scène de théâtre à trois personnes car le troisième personnage fonctionne en général comme une sorte de spectateur – et pourquoi l’improvisation serait-elle différente ? Les scènes qui font participer tous les joueurs devraient être l’exception, et non la règle.
Etape 2 : plateforme
Établissez une plateforme. Une plateforme se définit par deux choses : une stabilité car il n’y a pas d’événement exceptionnel dans la plateforme mais uniquement des éléments routiniers et une relation qui est définie entre les personnages.
Commencez positivement en évitant les disputes, les conflits, les personnages de mauvaise humeur, malades, mal à l’aise ou incompétents. Cela maximise l’impact dramatique de l’événement qui arrivera ensuite et cela permet au public de s’identifier et de comprendre les personnages et la situation.
Jouez la plateforme en explorant une activité routinière qui vous permettra de distiller de l’information sur le contexte de la scène en donnant des détails (qui, quoi, où, quand) le plus spécifiquement possible et de la manière la plus colorée possible. Détaillez l’environnement physique, ce qui vous donnera des éléments sur lesquels rebondir plus tard en faisant des rappels. Prenez des risques dans les choix que vous faites dans la plateforme pour éviter des situation trop banales ou revues.
Résistez à l’envie d’amener des variations, des changements ou des éléments externes dans la plateforme. Cette envie vient de votre peur de ne pas être intéressant. Osez “ennuyer” légèrement le public. Il est intéressé par les informations que vous amenez, verbalement ou physiquement, mais pas par les rebondissements ou le chaos. Le public est de votre côté en début de scène et est prêt à vous suivre pour comprendre ce que vous êtes en train de jouer.
Chaque variation que vous introduisez rend la scène moins lisible, pour vous-même, pour votre partenaire et pour le public. Osez faire des choix forts que vous imposez à ce début de scène pour clarifier les choses. Osez également découvrir les informations de base de la scène en même temps que le public sans les imposer aux autres, de manière organique. Dans tous les cas, tenez et renforcez vos découvertes et vos choix.
Soyez déjà attentifs aux promesses que vous faites, à ce qui est latent, au sous-texte.
The platform is the stability that precedes the chaos. […] Platforms don’t have to be dull. The requirement is that there should be a stable relationship between the characters, but beginners would rather be couch potatoes watching TV than priests at an exorcism, or members of a bomb squad during a tea break.
La plateforme est la stabilité qui précède le chaos. […] Les plateformes ne sont pas nécessairement ennuyeuses. La règle est qu’il doit y avoir une relation stable entre les personnages, mais les débutants préfèreront être affalés sur leur divan à regarder la TV que d’être des prêtres à un exorcisme, ou des membres d’une équipe de démineurs pendant une pause café.
Etape 3 : impact
Un personnage fait un choix, une déclaration ou une découverte. Suite à cela, l’un des deux comédiens est affecté et changé ce qui détruit l’équilibre de la relation (la hiérarchie réciproque, la nature de la relation, le sentiment mutuel) et génère un chaos.
Ne cherchez surtout pas à minimiser l’impact ou à rétablir l’équilibre ! Renforcez et faites vivre l’impact, en particulier émotionnel, pour vos personnages de manière crédible mais appuyée.
When I was one of a group of young playwrights we could never agree on what was meant by ‘dramatic action’, but I would define it now as the product of ‘interaction’, and I’d define ‘interaction’ as ‘a shift in the balance between two people’. No matter how much the actors leap about, or hang from trapezes, or pluck chickens, unless someone is being altered, it’ll still feel as if ‘nothing’s happening’.
A l’époque où j’étais membre d’un groupe de jeunes dramaturges nous ne pouvions jamais nous mettre d’accord sur la définition de “l’action dramatique”, mais je la définirais aujourd’hui comme le produit de “l’interaction”, et je définirais “l’intéraction” comme “un changement dans l’équilibre entre deux personnes”. Peu importe que les acteurs sautent partout, soient suspendus à des trapèzes, ou plument des poulets, si personne n’est changé, cela donnera l’impression que “rien ne se passe”.
Etape 4 : causes et conséquences
Continuez à explorer l’impact de l’événement en faisant des choix évidents dans le cercle des attentes. Le cercle des attentes est l’ensemble des possibilités de développement de la scène à un instant donné compte tenu de l’ensemble des choix et informations établies précédemment et des attentes du public par rapport à l’histoire.
Vous pouvez faire des propositions très attendues (au centre du cercle des attentes) ou plus surprenantes (en bordure du cercle des attentes). L’idéal est de comprendre où se situent les attentes du public afin de pouvoir flirter avec la limite, c’est à dire faire les propositions les plus surprenantes qui restent crédibles. Osez également faire des choix en vous surprenant vous-même puis en les justifiant.
Faites les choix narrativement les plus risqués, ceux qui génèrent du mystère et ceux qui mettent vos personnages en danger, physiquement et surtout moralement : le public aime voir le héros confronté à des choix moraux.
Faites vivre la suite de la scène selon le principe de causalité : chaque proposition est la conséquence de la proposition précédente.
Réincorporez régulièrement des éléments introduits précédemment (en particulier dans la plateforme) ce qui donnera une impression de structure à la scène, même si vous ne savez pas où va l’histoire.
‘Point’ is achieved not by conflict, but by the reincorporation of earlier events. […] A pointless story is one in which the recapitulation is missing or bungled, whereas a perfect story is one in which all the material is recycled (although a ‘perfect’ story may be very dull unless the hero is abused in some satisfying manner).
Le “sens” [NDT: d’une histoire] est donné non pas par le conflit, mais par la réincorporation d’événements antérieurs. […] Une histoire dénuée de sens est une histoire dont la récapitulation est absente ou ratée, alors qu’une histoire parfaite est une histoire où tout le contenu a été recyclé (bien qu’une histoire “parfaite” peut tout à fait être ennuyeuse si le héros n’est pas malmené de manière satisfaisante).
Etape 5 : révéler ce qui est latent
Essayez de toucher des grands thèmes, ne vous en éloignez pas.
C’est l’occasion de faire monter votre scène au delà du simple divertissement en faisant émerger ce qui était latent dans votre scène. Tenez les promesses que vous avez fait en début de scène mais aussi tout au long de la scène.
If we avoid popular themes like incest, terminal diseases, rabid Nazis, family crises, ex-lovers stalking us, racism, religious bigotry, and so on, the result is a toothless theatre that gums the spectators into pointless laughter.
Si on évite les thèmes populaires tels que l’inceste, les maladies terminales, les Nazis enragés, les crises familiales, les anciens amants qui nous hantent, le racisme, l’intolérance religieuse, et autres, le résultat est un thréâtre sans mordant qui condamne le public à un rire dénué de sens.
Etape 6 : conclure
Une nouvelle stabilité est établie, un des personnages a été changé, les implications ont été explorées, les éléments introduits ont été réincorporés. Le public a l’impression qu’il a assisté à cette scène pour une bonne raison.
Clôturez en faisant une ultime réincorporation et/ou une phrase de fin.
Storytelling is frightening (and exhilarating), because it involves a journey into the unknown. Abandon the struggle to tell stories and improvised comedy will be just another form of gutless ‘light entertainment (gravy without meat), and your best players will drift away in search of something more stimulating than the endless repetition of the same games.
Raconter des histoires est effrayant (et exaltant), parce que ça implique un voyage dans l’inconnu. Raconter des histoire est un combat et si vous l’abandonnez, la comédie improvisée ne sera qu’une énième forme de “divertissement léger” (la sauce sans la viande) sans saveur, et vos meilleurs joueurs iront voir ailleurs à la recherche de quelque chose de plus stimulant que la répétition sans fin des mêmes jeux.
Les citations sont tirées de Impro for Storytellers, de Keith Johnstone.
Pour travailler ces concepts en atelier
Je propose chaque dimanche de 16h à 18h un atelier qui s’intitule Impro Gym et qui travaille ces concepts ainsi que de nombreux autres. Il est ouvert à tout improvisateur ou improvisatrice qui a deux ans de pratique minimum. Pour vous inscrire, cliquez ici.
Pour approfondir
Vous pourrez trouver en cliquant ici de nombreux liens pour approfondir l’approche de Keith Johnstone.
Source: improviser.fr Comment improviser une scène narrative ?